Derrière les acronymes…

Derrière les acronymes…

Si vous avez passé les quatre dernières années en digital detox ou cryogénisé, vous n’avez peut-être pas entendu parler de l’acronyme GAFA, rassemblant le quatuor gagnant de la Silicon Valley (Google, Apple, Facebook et Amazon). L’acronyme s’est avéré pertinent pour évoquer des firmes dont le poids économique est devenu colossal au fil des années. Parce que leurs produits et services influencent la vie de millions d’utilisateurs dans le monde entier, les GAFA s’apparentent à des entités quasi souveraines, n’ayant guère à se soucier des législations nationales. Comme le rapporte L’Express, les GAFA ont un “chiffre d’affaires cumulé comparable au PIB du Danemark, […]” et une “capitalisation boursière d’environ 2 000 milliards de dollars.” Pour mieux évaluer ce qu’implique la montée en puissance des GAFA, le cabinet de conseil en innovation FABERNOVEL a même créé un index nommé GAFAnomics en 2014. Depuis, d’autres acronymes ont fleuri. Der Spiegel parle ainsi en 2015 des NATU pour dénommer la nouvelle génération de la Silicon Valley (Netflix, AirBnB, Tesla et Uber). En France, c’est Laurent Alexandre, à l’occasion de sa présentation à l’Assemblée Nationale que nous

avions évoquée dans ces pages Laurent Alexandre : la France pourrait devenir une colonie des GAFA, qui en janvier 2017, reprendra l’acronyme BATX pour désigner les géants chinois Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi. Les BATX ont aujourd’hui une capitalisation boursière avoisinant les mille milliards de dollars, soit un peu plus du tiers de celle des GAFA américains.

…de futurs géants

Nées à la fin des années 90, Baidu, Alibaba et Tencent ont bénéficié d’un marché chinois très dynamique. Leur connaissance des pratiques culturelles chinoises leur a aussi permis de s’immiscer dans les habitudes de consommation et les vies quotidiennes des consommateurs. Ainsi très en avance sur les géants de la Silicon Valley mais aussi sur leurs concurrents locaux, les BAT prennent le virage et développent une ribambelle de services spécifiquement pour l’internaute chinois. Et ça paye. Comme le note Le Monde : “En 2005, aux États-Unis, 70 % des internautes ont plus de 30 ans. En Chine, c’est l’inverse : 70 % ont moins de 30 ans. Les e-mails n’ont jamais été populaires en Chine. Les jeunes Chinois de la génération de l’enfant unique découvrent le Web en discutant sur QQ (un service de messagerie instantanée lancé par Tencent) ou en jouant en réseau dans des cafés Internet.” Passant la crise internet des années 2000 sans heurts, les BAT ont aussi bénéficié du soutien du gouvernement chinois, alors que des services comme Google, Facebook ou encore eBay se heurtent tous à la censure ou à des bras de fer réglementaire. Pour autant, comme le rapporte Le Monde, leur pouvoir grandissant n’est pas toujours du goût de Pékin, qui a lancé une enquête en 2015 contre Alibaba, faisant perdre à l’entreprise la moitié de sa valeur boursière. Pour le dernier-né des licornes chinoises, Xiaomi, l’histoire diffère. Fondée en 2010, l’entreprise s’est beaucoup inspirée (certains diront “a copié”) d’Apple, faisant du design une priorité de ses produits. En 2014, Xiaomi était le troisième fabricant de smartphones au monde, après s’être notamment lancé en Inde. La même année, elle s’offre les services de Hugo Barra, vice président d’Android chez Google, puis en 2016, le designer français dessine un de leurs smartphones (le Xiaomi Mix) “edge to edge”, soit avec écran à débordements… bien avant la sortie de l’iPhone X. En 2017, la firme vend ses smartphones dans plus de 40 pays, et revendique en avoir écoulé près de 100 millions au deuxième trimestre.

Le grand bond en avant ?

En quelques années, ces nouveaux services chinois ont réussi à conquérir des millions d’internautes et à faire vaciller le monopole des Américains, voire à le détrôner dans certains domaines. Ainsi, Alibaba (via ses plateformes e-commerce Taobao et Tmall) a dépassé le nombre d’utilisateurs d’Amazon (529 millions d’utilisateurs pour Alibaba contre 300 millions pour Amazon). À l’inverse, Baidu, le moteur de recherche chinois, reste bien en deçà des 2 milliards d’utilisateurs de Google, avec 665 millions de consommateurs. Idem pour Tencent, qui talonne Facebook Messenger avec WeChat mais reste tout de même derrière la firme de Zuckerberg (1,2 milliard d’utilisateurs contre 963 millions pour WeChat). Mais rien ne dit que ces rapports de force ne changeront pas sur le long terme.

Alors que la Silicon Valley est majoritairement présente en Europe et aux États-Unis, la montée en puissance des BATX a bénéficié d’une implantation forte et d’un marché intérieur très dynamique. Comme Le Monde le rappelle, “le nombre d’internautes en Chine a été multiplié par sept en dix ans.” On peut même tabler sur une croissance continue car actuellement, seul un Chinois sur deux a accès à internet. D’autre part, ces entreprises visent des marchés en plein expansion comme l’Asie du Sud-Est (où Alibaba, Tencent et Xiaomi ont déjà avancé leurs pions en achetant des concurrents ou en installant leurs usines), dans laquelle ils sont déjà bien implantés, ou sur le continent africain où Jack Ma s’est d’ailleurs rendu en juillet dernier. S’appuyant sur la diaspora chinoise, très présente sur le continent africain, et sur des usages similaires (primauté de l’internet et des paiements mobiles), les BATX pourraient là, une fois n’est pas coutume, prendre de court les GAFA. Vous avez dit colosses aux pieds d’argile ?

Carte d’identité

Baidu : Créé il y a 17 ans à Pékin, Baidu est le moteur de recherche leader en Chine. L’entreprise totalise une capitalisation boursière de 79,7 millions de dollars contre 648 pour celle de Google, mais occupe 77% des parts du marché chinois face à Google qui n’en compte que 1,7%. L’entreprise a investi très tôt et de manière prometteuse dans l’intelligence artificielle, faisant d’elle l’un des leaders chinois dans les technologies d’avenir telle que la reconnaissance faciale ou les véhicules autonomes.

Alibaba : Lancé en 1999, le groupe Alibaba est devenu la première entreprise asiatique à passer la barre des 400 milliards de dollars de capitalisation boursière en juillet 2017. Alibaba est d’abord une panoplie e-commerce permettant le vente de gros entre importateurs et exportateurs, puis s’ouvre la vente au détail avec Aliexpress, un portail permettant aux consommateurs d’acheter de petites quantités de biens avec des prix de gros. Le groupe compte près de seize entreprises affiliées, allant du paiement en ligne avec AliPay à la cartographie, en passant par Weibo, le réseau social chinois de micro-blogging.

Tencent : Née à Shenzhen en 1998, Tencent a mis au point la première messagerie instantanée OICQ, plus tard rebaptisée QQ. À son apogée en 2013, le site comptait 800 millions d’utilisateurs, ce qui lui a permis, entre autres, de faire adopter une panoplie de services comme des paiements en ligne et de s’imposer comme leader du divertissement en ligne avec des jeux vidéos. En 2016, Tencent comptabilisait un chiffre d’affaires de 22,9 millions de dollars.

Xiaomi : Créé en 2010, Xiaomi est la plus jeune des BATX. Elle fabrique smartphones, objets connectés, tablettes et ordinateurs. L’entreprise a fait des débuts fort remarqués en Chine mais aussi dans toute l’Asie, avec 61 million de dollars de ventes dans le monde en 2014.Particulièrement performante en Inde, Xiaomi totalise là-bas 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires annuel en 2016. Après une croissance exponentielle, Lei Jung, PDG et co-fondateur de la compagnie a admis que l’entreprise avait peut-être grandi trop vite, selon Tech Crunch. Depuis 2016, Xiaomi cherche à transitionner vers la stabilité, tout en se diversifiant vers l’intelligence artificielle et la fintech, avec un service de banque en ligne lancé cette année.

Sébastien Lodour
Sébastien Lodour Éditeur Principal Et Auteur Chez de YellowVision

Basé à Paris, je décrypte les dernières tendances et signaux faibles dans le domaine des technologies en particulier de l'IA, du transport, de la santé et de l'éducation.

Philothée Gamard
Philothée Gamard Éditeur en Chef chez de YellowVision

Journaliste, chercheuse et consultante. Depuis Paris, j'écris sur les enjeux sociétaux des technologies et questionne le futur que nous sommes en train de construire.